Expérience glaciaire Diavolezza.
Pourquoi pleures-tu, glacier?
«Pourquoi pleures-tu, glacier? C’est la tristesse du départ qui t'envahit?», voici comment commence le poème de Fritz Gillinger, écrit en 2014. Les visiteurs d’Engadine posent généralement leur premier coup d'œil sur le glacier Morteratsch du virage de Montebello. C’est ici, entre Pontresina et l’hospice de Bernina, où la route et la ligne de train se croisent, que se dévoile, à droite et dans toute sa splendeur, la chaîne de la Bernina, avec ses pics enneigés. Juste en-dessous, les coulées de glace Pers et Morteratsch y entourent la Isla Persa: cette sculpture glacée de 16 kilomètres carrés de la Haute-Engadine se dresse fière et sublime. Aucune trace de la tristesse.
«Mort Aratsch!»
La station amont Diavolezza est le point de départ idéal des aventuriers avertis pour découvrir les neiges éternelles; ces 1,5 milliards de tonnes, sans cesse en mouvement. Seuls les connaisseurs du Morteratsch savent exactement où se trouvent les nouvelles crevasses et marmites glaciaires, et quelles grottes glaciaires sont accessibles. Des roches de pierre ou des troncs d'arbre, déplacés par la neige éternelle, jonchent le chemin, et racontent une histoire vieille de plusieurs centaines d'années. Seul le malheureux Aratsch reste disparu.
Selon la légende, l'ancien berger, de retour dans la vallée après un long voyage à l'étranger, retrouva sa bien-aimée Annetta sur son lit de mort. Désespéré, il se lança dans l’ascension du glacier avec son cheval, et disparut à jamais. Il resta toutefois gravé dans les mémoires pour toujours. L’esprit d’Annetta ne trouva jamais la paix et criait chaque nuit: «Mort Aratsch, mort Aratsch!», donnant ainsi son nom au glacier.
La noblesse conquise
L'artiste de Leipzig, Wilhelm Georgy, y a également connu des jours tumultueux en 1854, lorsqu’il préparait une étude des «pointes et pics puissants situés au cœur du glacier Morteratsch». Équipé de couvertures et d’ustensiles de cuisine, ils s'abritaient à la fin de l'automne sous des blocs de pierre quand ils entendirent «le bruit sourd, semblable à des tirs de canons, de la masse de glace en train de se briser et de tomber». «C’était comme si l’infernal glacier était irrité et en colère qu’un être humain l’importune et viole sa beauté secrète en la couchant sur le papier», écrit Georgy dans son récit «Hotel Granitblock».
À l'époque, à la fin du petit âge glaciaire, le glacier était en train de s'étendre jusqu’à l'actuelle station de train. En 1905, quand la famille Kessler y construisit son premier hôtel, et en 1910, lors de la construction de la ligne de Bernina et de la station Morteratsch, le courant glaciaire s'était déjà rétracté de quelques centaines de mètres. L'accès alors facile au glacier faisait sensation, et était un incontournable de la belle époque du tourisme d’Engadine, que même l’Empereur allemand Guillaume ne voulait pas manquer. Des photos le montrent lors d'une balade sur le glacier, accompagné de plusieurs hommes vêtus de beaux costumes et de dames avec de grands chapeaux et des sacs chics.
Haute technologie sur le glacier
De nos jours, il faut parcourir près de trois kilomètres de chemins de gravier à pied ou à vélo avant de s'approcher du glacier. Chaque année, le glacier Morteratsch se retire de 40 mètres, une évolution que le glaciologue natif de la région, Felix Keller, a du mal à accepter. Le projet de conservation du glacier qu'il a créé, MortAlive (voir page 14), doit permettre le développement d’une technique d'enneigement innovante, qui ne pourra certes pas empêcher la fonte des glaciers, mais au moins la retarder. Non seulement à Engadine et dans les Alpes, mais également dans les Andes ou dans l’Himalaya, où la vie de près de 200 millions de personnes est menacée par l'absence de neige fondue.
Pendant ce temps, la zone d'accès du glacier Morteratsch est en transition. Des plantes pionnières comme la linaire des Alpes ou la dryade à huit pétales s'agrippent dans les gravas de la moraine grise, les rhododendrons commencent à fleurir, ou les aroles et les mélèzes se développent avec l'aulne vert et le saule. Un nouveau paysage émerge. La question du poème de Gillinger reste ouverte: «Pourquoi pleures-tu, glacier?... Car tu te déplaces sans cesse? Loin de tes racines froides qui te nourrissent. Tu descends inébranlablement vers ta transformation? Ou s'agit-il de larmes de joie que tu verses pour la nouvelle vie qui t'attend?»
Le saviez-vous?
Le glacier Morteratsch couvre, avec le glacier Pers, une superficie de 16 km2, en faisant l’un des plus importants glacier des Alpes. Depuis 1999, il fond à une vitesse d’environ 40 mètres par an. Le projet MortAlive du glaciologue Felix Keller vise à contrer le recul du glacier en recyclant l’eau résultant de la fonte. Un enneigement artificiel du glacier devrait permettre à la glace de tenir. Les premiers essais réalisés à la station inférieure Diavolezza sont concluants.